En relisant ce passage de nos textes fondateurs, je l'ai trouvé d'une étonnante actualité…Je ne le développerai pas, dans ce travail, au monde profane, vous serez à même de le faire…Je resterai dans le domaine maçonnique, celui qui m'intéresse et me préoccupe, ici et maintenant.
Je prends souvent la Tour de Babel comme le symbole de l'exemple type de la rupture de l'unité sociale et de l'incommunicabilité…ce qui résume ma vision de cet épisode. Je vais développer mon analyse de ce passage biblique et en tirer quelques leçons intéressantes.
D'abord, faire une constatation, ce texte semble être un rajout…en effet dans le chapitre précédent, il est stipulé : je cite « que chacun avait sa langue, sa terre dans leurs nations »
Tout à coup, quelques versets plus loin : je cite à nouveau,
"Toute la terre avait une même langue et des paroles semblables."
Le fil conducteur a été rompu…le narrateur dresse une espèce de tableau des peuples (Chap. 10) et avant d'entreprendre le récit des enfantements, c'est à dire les descendances –Shem, Térah, Abraham…suite logique ; il y intercale cette légende.
En ce qui me concerne, je dégage deux axes de réflexion dans cette construction : rupture et confusion.
Rupture du texte, qui n'est pas le fait du hasard, ni d'une incohérence de son auteur, mais quelque chose de volontaire. Il faut une image forte qui s'intercale dans ce développement de la vie de l'homme en collectivité pour nous interpeller sur les risques que peuvent provoquer, une union pour la force du paraître qui mène immanquablement à l'orgueil (entre autre), au conflit de personnes et par voie de conséquences à la rupture. Pour mieux comprendre l'auteur, il faut revisiter le texte dans sa langue originelle.
Quand au chapitre 10, il est dit chacun avait sa langue, il est employé le mot hébreu - lashon…qui signifie bien langue.
Alors qu'au chapitre 11 (la tour de Babel) il est utilisé le mot sapha qui signifie lèvre ou encore bord (notons au passage que dans ce mot, il y a la lettre Phé qui signifie la bouche).
Toute la terre avait une même lèvre…(ou le même bord)
Le mot qui est traduit par « semblables » ah'adim, a en hébreu une connotation d'unicité, d'uniformité, d'unification…
Toute la terre avait une même lèvre et des paroles unies.
Ah'adim vient de ah'ad qui signifie un et le début du mot ah' signifie frère.
Les lettres qui composent le vocable ah'ad donnent la valeur 13 à savoir la même valeur que le mot ahavah qui signifie amour.
Unité et Amour additionnés donnent 26 qui est la valeur du Tétragramme, Nom ineffable du Principe des principes fait des 4 consonnes hébraïques Yod – Hé – Vav – Hé.
Ce Principe appelé communément Dieu, vocable que je n'utilise pas car ne correspondant pas à l'approche des textes…
Ce Principe est Un et Amour…
et le premier verset de ce chapitre 10 peut se traduire par :
"Toute la terre, un même bord, des paroles unies."
Une précision supplémentaire, paroles est la traduction de deberim pluriel de deber qui est le verbe, la parole organisatrice.
L'orgueil de l'homme va rompre cette unicité, cet amour.
L'homme à travers la construction de cet édifice veut rejoindre son Dieu, rejoindre la puissance, se faire une renommée.
Et quelques mots clés de ce passage au demeurant anodins contiennent toute l'explication de cet épisode. Je les cite :
"La brique est pour eux, pierre…" (vers.3)
Tout le drame de cette légende est tout entier contenu dans ces quelques mots.
La pierre en hébreu se dit Eben (aleph-beith-noun)
La brique se dit Libenah (lamed-beith-noun-hé)
La pierre Eben en hébreu est la contraction de Ab: le père et de Ben: le fils c'est le symbole de l'homme qui est père: ab qui a des fils ben…ceux- là vivent avec les autres hommes comme des frères, liés par l'unité.
La brique libenah, a aussi une autre signification, à savoir blancheur, elle est le symbole de l'homme qui se satisfait de la blancheur, en fait de ce qui est superficiel, son paraître…ignorant son être…dans ce vocable, est toujours présent le nom de fils ben mais celui de père ab a disparu.
Ces fils ne se savent plus frères, ils n'ont plus conscience de leur unité, ils ne se construisent plus de l'intérieur mais cherche la renommée. Ils se détournent du Verbe, de la Parole fondatrice, organisatrice deber.
La tour ne sera pas achevée, tous seront dans la confusion.
C'est le début du désordre social, de l'incommunicabilité.
Y-a t'il une possible actualité dans ce récit, et peut-on faire un parallèle avec par exemple, une loge maçonnique ? …… Malheureusement, j'en ai l'intime conviction ! – qu'est-ce qu'une loge ? sinon le reflet du vers 5 – chap 10 :
En effet :
Elle est formée d'individus venant de tous horizons socioprofessionnels, de diverses cultures et religions etc.…
elle est également le reflet du 1er verset du chapitre 11, tous sont frères et sœurs par l'initiation, du même bord : La Franc Maçonnerie, et ont des paroles unies ou semblables pour rassembler ce qui est épars.
Si l'orgueil vient à s'emparer de certains, soit par une cordonnite aiguës, soit en voulant être des détenteurs de vérité, des "moi je sais tout", "je fais mieux que les autres" et j'en passe…
Je résumerai en disant à nouveau, paraître au lieu d' Être, alors la confusion ne peut que s'installer…rupture dans le lien fraternel, plus personne ne parle le même langage ; la loge devient une véritable Tour de Babel.
En Franc Maçonnerie, nous sommes invités à tailler notre "pierre" et non une quelconque brique…les Tables de la Loi furent gravées sur de la "pierre" pour être transmises de pères en fils…Toutes les mythologies et religions donnent une grande importance à la pierre, que nous n'aborderons pas ici bien évidemment.
La Loge doit être un tronc commun dans lequel chacun apporte ses connaissances, son savoir, sa philosophie, sa sensibilité etc.…afin qu'ensemble nous construisions quelque chose d'harmonieux, de riche et de fraternel pour un mieux "ÊTRE" de tous.
Dans notre Ordre, rien ne domine sur rien…que nous soyons d'un rite égyptien, judéo-chrétien ou autre, il s'agit de supports, de trames qui guident la construction du Franc- Maçon…ce que nous devons être avant tout !
La Franc Maçonnerie n'a pas pour vocation de fabriquer des Égyptiens…des Rois Salomon ou tout autre personnage mythique pouvant se trouver éventuellement dans les légendes initiatiques. Nous les sommes tous par la voie de l'initiation.
Exemple : l'apprenti, pierre brute, est aussi appelé à être à la fois Jakin et Tubalcaïn.
Il est mis à sa disposition pour son travail de transformation des outils, des symboles qui ne sont pas des dogmes figés, pas plus que le rituel. Paul Ricœur disait : " Le symbole donne à penser". – Ici, tout est symbole ! Et contrairement au dogme, le symbole évolue comme évolue la pensée. C'est pour cela d'ailleurs que la franc maçonnerie utilise une méthode de réflexion par le questionnement, qui fait nécessairement avancer.
Pour éviter la rupture et la confusion, il me paraît indispensable de dire et ce sera ma conclusion :
Le but final de la destinée de l'homme ou de la femme, franc-maçon, n'est autre que le "monde à venir", mais le chemin qui doit l'y conduire se situe et se parcourt dans le monde présent "l'ici et maintenant". – Le monde à venir n'atteindra sa perfection que par la somme des perfections individuelles passées, présents et à venir, qui bénéficieront finalement à l'ensemble de l'humanité.
Que notre chaîne d'union ne soit pas le fait de quelques instants, mais de tous les instants !…